Pour l’humain, le comportement est souvent vu comme bon ou mauvais. D’un côté les bons comportements doivent être récompenser, de l’autre les mauvais doivent être puni.
Rien de plus logique puisque c’est ce que l’on nous a toujours appris et ce dans quoi nous avons été conditionné depuis des générations. Ne pas céder, faire obéir.
Cette manière de penser va bien au delà du chien. Elle semble profondément inscrite dans notre société depuis les temps les plus anciens, inscrivant durablement dans notre subconscient une conception précise de « l’éducation » : contrôler les comportements de l’autre.
Petit tour d’horizon.
Un peu d’histoire…
Certains vont se dire que j’ai sans doute pris une substance douteuse aujourd’hui alors j’ai décidé de sortir quelques extraits pour la route plutôt que de faire des longs discours …
« Qui aime son fils lui prodigue le fouet, plus tard ce fils sera sa consolation »
[Bible – Ecclésiastique 30.1]
« Cajole ton enfant, il te terrorisera. »
[Bible – Ecclésiastique 30.1]
« L’enfant doit vivre dans la sagesse de ses parents et de ses maîtres, y soumettre ses actes et trouver là une école préparatoire à l’obéissance vis à vis du Père divin ».
[L. Kellner, 1852]
« La nature de l’enfant lui donne un besoin de se soumettre à la force »
[encore L. Kellner, 1852]
« N’est ce pas une forme de mièvrerie qui, dès le berceau, dorlote l’enfant et le gâte de toutes les façons ? Au lieu de l’habituer dès son premier jour de son existence sur cette terre, au respect de l’ordre et du temps, et de poser ainsi les premiers éléments de mesure, de patience et de bonheur humain, l’amour mièvre se laisse diriger par les cris du nourrisson. L’amour mièvre se laisse dominer par les larmes du petit despote »
[A Matthias, 1902]
…. et un dernier pour la route ….
« Un maître d’école à qui je demandais un jour comment il était parvenu à ce que ses élèves lui obéissent sans châtiments corporels me répondit : je m’efforce de persuader mes élèves que je leur veux du bien. Je leur montre qu’ils se font à eux-mêmes du tort s’ils ne m’obéissent pas.
En outre je pratique un mode de récompense consistant à marquer pendant les heures de classe ma préférence pour l’élève le plus complaisant, le plus docile et le plus appliqué; c’est lui que j’interroge le plus souvent, je lui permets souvent de lire son devoir devant les autres, je lui fais écrire au tableau ce qui doit y être inscrit.
Si quelquefois l’un d’eux a mérité une punition, je le relègue au fond pendant les heures de classe, je ne l’interroge pas, je ne lui fais rien lire, je fais comme s’il n’était pas là. D’une façon générale cela fait tellement de peine aux enfants que les punis pleurent à chaudes larmes ; et si d’aventure il y en a un qui ne veut pas se rendre à ces méthodes douces, alors il faut que je le batte; mais je fais précéder l’exécution du châtiment d’une préparation si longue qu’elle l’atteint davantage que les coups eux-mêmes.
Je ne bats pas l’enfant au moment même où il a mérité la punition, je la repousse au lendemain voire au surlendemain. L’enfant qui a péché ressent le châtiment dix fois plus fort non seulement sur son dos mais aussi par le fait qu’il est contraint d’y penser constamment.
Le jour venu de passer à l’exécution, je fais immédiatement après la prière du matin un discours émouvant à tous les enfants en leur disant combien ce jour est un triste jour pour moi parce que la désobéissance d’un de mes chers élèves me réduit à la nécessité de le frapper.
Bien des larmes coulent déjà, non seulement chez l’enfant qui va recevoir la correction mais aussi chez ses camarades. Quand j’ai terminé ce petit discours, je fais asseoir les enfants et je commence ma leçon. Ce n’est qu’à la fin de la classe que je fais sortir du rang le jeune coupable, je lui annonce la sanction et je lui demande s’il sait ce qui la lui a value. Une fois qu’il a sagement répondu sur ce point, je lui compte ses coups en présence de tous les élèves; puis je me tourne vers les spectateurs en disant que j’espère de tout mon cœur que ce sera la dernière fois que j’aurai été contraint de battre un enfant. »
[Salzmann, 1796]
Des textes comme ça, on en retrouve à la pelle. Des textes religieux aux manuels destinés aux éducateurs, tous sont obsédés par la nature prétendument manipulatrice si ce n’est diabolique de l’enfant.
L’enfant est placé comme un despote habité par le mal(in) qu’il faut briser le plus vite possible 👹
➡️ II faut soigner le mal par le mal.
Peu après, la doctra freudienne (qui a particulièrement bien pris en France d’ailleurs…) s’inscrit dans la parfaite continuité avec, à son apogée, le très célèbre mais Ô combien fallacieux complexe d’oedipe. Soit dit en passant, une belle falsification du mythe grec original dont il tire son inspiration tout en en déformant totalement le sens.
Pour la faire courte, il est question de possession, de pulsion, de désir d’inceste, de meurtre et globalement de « qui qui en à une et qui qui à la plus grosse ». Un épisode de Game of Thrones en fait.
Les petits garçons veulent de fait posséder leurs mères et évincer le père. Mais rassurez vous, si vous avez une petite fille la réponse est toute trouvé : vu qu’elle n’en a pas, elle jalouse le père et développe une hostilité envers sa mère.
Pour la « blague », il existe même des centres de formation canin qui basent leur « travail » sur le complexe d’oedipe canin. Voilà voilà.
En dépit de toutes preuves et alors même que toutes les études sérieuses invalident ces théories, tout cela s’est enraciné durablement dans notre culture. A force d’être martelés, à force de bourrage de crâne, de propagande, ces schémas éducatifs sont devenus une normalité dans la conscience collective.
Le résultat ? Une vision de l’éducation basée sur la peur de l’autre plutôt que son développement, sur la distance vis à vis de l’autre. Sur la discipline, l’obéissance, le chantage.
Aujourd’hui, nous n’avons plus conscience de l’origine de ces injonctions éducatives. Pour autant, elles perdurent comme un héritage des temps pas si anciens que ça.
Le cododo est diabolisé (pourtant ça ne choque pas nos voisins allemands qu’un enfant de 6, 7 ou 8 ans dorment encore dans la chambre parentale), il faut sevrer coute que coute le sein, il faut qu’il fasse ses nuits seuls sans broncher le plus vite possible, il doit se conformer à la volonté des autres, il faut laisser pleurer et ignorer sa détresse, etc.
La puissance de ces injonctions est telle que de nouvelles justifications sont apparues pour en masquer l’origine (et mieux faire passer la pilule) : ex, « laisse le pleurer, ça lui fera les poumons » (c’est donc pour son bien…).
En résumé, l’histoire nous apprend qu’il faut briser le mal qui sommeil en l’individu le plus tôt possible alors même que le besoin de sécurité affective est essentiel.
Et tout ça s’inscrit progressivement dans nos schémas de pensée et devient « normal », alors même que le consensus scientifique s’accorde sur le fait que l’animal (humain ou non-humain) développe tantôt un style d’attachement sécure ou un des 3 styles d’attachement insécure avec sa figure d’attachement (caregiver) selon comment ce dernier répond aux besoins émotionnels de l’individu.
Pour les curieux, n’hésitez pas à jeter un œil au webinaire et au ebook sur le sujet dispo sur notre site 😉
La pédagogie noire
Comme le fait habilement remarquer Alice Miller (qui est d’ailleurs une ex-psychanaliste déconvertie), « si l’enfant apprend à considérer même les chatiments corporels comme des « mesures nécessaires », parvenu à l’âge adulte, il fera tout pour se protéger lui-même de toute sanction par l’obéissance, et n’aura en même temps aucun scrupule à participer au système répressif. Dans l’État totalitaire qui est le reflet de son éducation, il sera capable de pratiquer n’importe quel mode de torture ou de persécution sans en éprouver la moindre mauvaise conscience.»
Un schéma souvent utilisée pour donner du pouvoir aux puissants et priver de soins ceux qui en ont besoin en somme. Un véritable pont d’or pour la théorie de la dominance qui n’a peut être été « que » la cerise sur la gâteau tant elle fait écho à nos propres schémas de pensée …(la question est ouverte. Vous avez 4h !)
D’abord victime, l’humain aurait donc au fil du temps délaissé le « caregiving » (prendre soin de l’autre) pour embrasser le rôle de bourreau et de dompteur (d’enfant, d’animaux, d’autres Hommes … de femmes aussi accessoirement) un peu malgré lui (souvenez-vous, cela est devenu « normal »).
Car il faut se rendre à l’évidence d’une chose : jamais Ô grand jamais une personne s’étant développée dans des valeurs d’écoute, de respect et de compréhension de l’autre n’adoptera spontanément une posture distante qui la coupe de son empathie.
Au final, peu importe le prix à payer pour « corriger » un comportement (violence, manipulation, etc), tout est acceptable à partir du moment où c’est « pour son bien ». Le bien correspondant à la discipline, à l’ordre et au conformisme.
Fini l’écoute, fini la sécurisation (fini l’apaisement donc).
L’heure est à ignorer la détresse de l’autre (souvenez-vous, il cherche à nous manipuler !), à imposer sa volonté (c’est indispensable pour rentrer dans le moule) etc.
C’est ça la pédagogie noire : une banalisation de la violence, voir son prochain, son chien, l’autre, comme une menace par défaut.
Le hic, c’est que bon nombre d’entre nous avons été éduqué / élevé / formaté comme ça.
Déconstruire puis reconstruire nos schémas
Rien d’étonnant à ce que le grand public soit si souvent dupé et séduit par le nombre croissant de « dompteurs de chiens » qui tentent de faire passer un message anti-scientifique et pro-punition (et anti bon sens aussi on va pas se le cacher, car tous les arguments sont démontés tour à tour depuis plus de 60 ans…).
Leur force ? Une certaine habilité à jouer avec cette opposition entre le bien en le mal(in) et à utiliser un message qui fait écho avec ce que l’on considère malheureusement comme une normalité (je sais je me répète).
Leur faiblesse ? Reproduire inconsciemment un schéma qu’ils ont toujours vécu et dans lequel ils sont malheureusement enfermés (et ce n’est pas une excuse, je suis le premier à avoir été élevé selon ces schémas là tout en ayant fait le cheminement pour en sortir)
Cette approche très arbitraire et binaire du comportement (quelles que soient les méthodes utilisées) doit absolument être remise en question. Mon ami Andy (Andrew Hale) soulève 3 questions pour en sortir (pour les curieux, on a un super webinaire sous titré en français de lui sur notre site 😉) :
- Qui décide de ce qui est bon ou mauvais ?
- Qu’est-ce qui motive ces discours ?
- Qu’en est-il du comportement en tant qu’expression d’un besoin ? Besoin de sécurité (sociale, émotionnelle et physique), de connexion et de soulagement ?
Ce que nous devons garder à l’esprit, c’est que cette opposition entre les bons et les mauvais comportements est souvent utilisée pour juger, étiqueter et contrôler le comportement des autres afin de s’assurer que tout le monde correspond à une certaine “norme conformiste”, indépendamment de leur capacité ou de leur volonté de faire partie du moule.
Cela a conduit inévitablement à mesurer le “succès” en fonction de la conformité et de l’obéissance. On cherche dorénavant instinctivement à résoudre des supposés problèmes de comportement un peu comme si on essayait de réparer un objet cassé.
Cette approche par la tâche est aujourd’hui très ancrée dans cette vision (à mon sens contre productive si ce n’est néfaste) du comportement.
Elle a conduit à confondre le silence et l’obéissance avec le calme et une bonne régulation émotionnelle.
C’est pourquoi nous devons nous efforcer de nous remettre en question. En apprenant plus, en observant plus. En promouvant un accompagnant du chien et de l’humain plus axée sur le (prendre) soin, qui va au-delà de la simple étiquette, du jugement et du changement arbitraire de comportement.
Apprendre de l’autre AVANT de travailler sur une tâche / un comportement de façon à fournir le pont que certains ont besoin d’explorer par eux même avant de se libérer de leurs propres entraves, des étiquettes et des attentes qui ont souvent été conçues pour nous contrôler tous. Pas seulement nos chiens.
Pour au final les aider à voir clair dans les mensonges et la manipulation des « dompteurs » qui sont l’ultime manifestation de la tâche à tout prix.
Nous savons pertinemment que les chiens ressentent la douleur émotionnelle et physique. Nous savons que leur comportement est tout ce qu’ils ont pour communiquer un besoin. Nous savons qu’ils ont besoin de sécurité, en particulier de sécurité sociale, tout comme nous.
Les chiens n’ont pas de voix – mais nous en avons une. Continuons donc à les défendre. Continuons à communiquer sur l’importance de l’expérience émotionnelle vécue par les individus. Faisons en sorte que notre activisme représente leurs voix et devienne la voie du changement.
Pour aller plus loin :
Nos webinaires en ligne en cliquant ici
Reportage “Les déconvertis de la psychanalyse”