Le temps et l’espace : tous ceux qui travaillent régulièrement ou partagent leur vie avec des chiens en proie à de la détresse (émotionnelle et/ou affective) connaissent l’importance de ces deux mots.
Ils sont au cœur de tout ce que nous faisons car indispensables pour répondre à leurs besoins et les soutenir comme il se doit.
Aujourd’hui, donner du temps et de l’espace aux chiens en difficulté commence tout doucement à rentrer dans les mœurs. Même s’il faut reconnaitre que nos vieilles habitudes ont cette fâcheuse tendance à refaire surface lorsque l’on se sent en difficulté.
Malgré ce changement progressif d’état d’esprit, je crois que nous n’avons pas toujours pleinement conscience de ce qui se cachent concrètement derrière les notions de temps et d’espace.
Le temps
Prendre le temps de jeter votre calendrier à la poubelle
Je sais que l’humain aime avoir un ordre d’idée du temps que ça prendra. C’est quelque chose qui rassure et qui permet sans doute de se projeter vers des jours meilleurs. C’est d’autant plus compréhensible lorsque l’on est soi même en difficulté et à bout de souffle. Ce qui pousse généralement à chercher des « solutions rapides », en dépit de toute considération relative à l’éthique, au bien-être et à la santé mentale.
Mais il faut comprendre que tout plan visant à aider l’autre a besoin de temps pour se mettre en place. Il n’y a malheureusement pas de solution miracle pour faire du « vite fait, bien fait ».
Fixer des échéances avant d’entamer un travail thérapeutique est contre-productif, autant pour le chien que pour la personne qui s’en occupe. Il s’agit là du meilleur moyen pour mettre la pression à l’animal (humain et non humain) et décevoir l’humain.
En tant que professionnel, je sais qu’il est toujours délicat de dire à un client qu’il n’y a pas de calendrier. On est tenté de promettre l’impossible pour ne pas le voir partir vers d’autres méthodologies (très) peu regardantes sur l’éthique et des promesses irréalistes.
Mais c’est quelque chose sur lequel nous devons insister et communiquer tous ensemble d’une seule et même voix : le calendrier doit être établi en fonction du chien. C’est lui qui dicte le rythme. Tout comme il dicte la destination qu’il atteindra.
Du temps pour assimiler/analyser ce qui se passe
Si nous voulons aider un chien à trouver les ressources pour s’autoréguler, nous devons lui laisser le temps d’assimiler/analyser ce qui se passe autour de lui.
Et cela ne peut se faire qu’il se sent en sécurité (ce qui nécessite aussi de l’espace).
Pour intégrer l’information, le cerveau à besoin d’être disponible. Pour cela, le corps dans son ensemble doit pouvoir renvoyer un message de sécurité.
Une fois l’information analysée et intégrée, le corps pourra petit à petit renvoyer de plus en plus de messages de sécurité. Mais pour cela, il faut du temps et de la disponibilité mentale pour que le chien assimile ce qu’il vit.
Or, on est souvent tenté par faire de la micro-gestion comportementale pour obtenir des progrès plus rapides à court terme. Mais c’est pour moi plus un obstacle qu’autre chose sur le long terme. Car il faut garder à l’esprit que le fait de donner un ” signal ” au chien peut être un élément de plus à traiter qui l’empêche d’auto-réguler ses émotions, et donc ses comportements.
Du temps pour être lui même et l’observer
D’une certaine façon, la micro-gestion des comportements du chien l’empêche de s’exprimer de façon vraiment authentique. Or, c’est cette possibilité de s’exprimer qui nous apportera des réponses sur ses besoins individuels.
Se laisser le temps de rencontrer l’autre, ses préférences mais aussi sa manière de communiquer et de se comporter.
Prendre du temps pour apprendre davantage du chien, loin des situations stressantes. Du temps pour repérer les subtilités de sa communication et de ses stratégies d’adaptation. Du temps pour voir comment il analyse l’environnement dans son ensemble, caregiver inclus. Du temps pour apprendre comment il se déplace, ce qu’il fait pour se sentir en sécurité.
En bref, prendre le temps permet d’apprendre des informations précieuse sur sa façon de s’autoréguler lorsque l’élévation du stress n’est pas trop importante, et ainsi soutenir SES stratégies d’adaptation innées.
Du temps pour celui qui aide
Soutenir l’autre, l’aider au quotidien, peut être réellement épuisant pour celui qui s’occupe du chien. Il doit aussi lui-même intégrer de nouvelles informations et voit sa vision du chien complètement bouleversée.
Le temps est là aussi nécessaire pour se réadapter à cette nouvelle façon de s’occuper de son chien : abandonner la (micro)gestion des comportements au profit d’une approche plus axée sur le soutien et le (prendre) soin.
Il faut donc accorder du temps à cet humain qui apprend et prendre en compte son expérience émotionnelle. Et toujours se souvenir que plus nous lui en demandons en terme d’apprentissage, moins il sera disponible mentalement pour s’occuper de son chien. Et vice-versa.
Trop d’un coup paralyse, entraine l’inaction et le découragement.
Du temps pour créer du lien
En tant qu’accompagnant, la clé de la résilience se trouve dans notre capacité à aider à le caregiver à apporté de la sécurité émotionnelle et affective à son chien. C’est cette sécurisation qui mènera son chien à l’autonomie.
Cette sécurité affective/relationnel se construit progressivement sur la base de chaque interaction (ou non-interaction), sur la manière dont nous répondons au besoin du chien. J’ai coutume de dire que chaque interaction façonne la relation. Chaque interaction façonne la manière dont le chien percevra ses interactions futures.
Pour les chiens abimés par la vie, il va falloir composer avec tout ce qu’ils ont vécus. Pour certains, cela représente un énorme changement sur le plan relationnel. Changement qui mettra du temps pour porter ses fruits.
Ce qui est tout aussi vrai avec un jeune chien : la relation se construit brique par brique.
Alors il faut simplement prendre du temps pour construire les choses. On ne devient pas un tuteur de résilience en claquant simplement des doigts.
Ralentir son flot de pensées
Notre société tend à faire rentrer de plus en plus de choses dans un temps toujours plus court (vive la surperformance !). Mais c’est oublier qu’à force de tirer sur la corde, on baisse justement en performance et en capacité d’analyse. Il s’agit là de quelque chose que l’on reproduit inconsciemment avec nos chiens et que l’on induit sans même nous en rendre compte par notre communication non verbale.
Ralentir le rythme, c’est s’octroyer autant qu’octroyer à son chien la possibilité de ralentir son flot de pensée et de se reposer tout en augmentant ses capacités d’analyse.
De l’espace
Prendre de la distance
La distance est vraiment une alliée lorsqu’il s’agit d’aider les chiens les plus sensibles (mais pas que !).
Cet espace, au sens physique du terme, va quasi systématiquement de paire avec le fait de prendre le temps dont ils ont besoin pour analyser, assimiler, intégrer les choses. C’est la combinaison des deux qui permet de garder toutes les “portes ouvertes” et qui permet d’éviter que le chien ne sorte de sa fenêtre de tolérance.
En pratique, il s’agit d’adapter les distances, le rythme auquel nous marchons (d’une manière générale, ralentir le rythme auquel nous vivons) et le lieu, de façon à lui donner une meilleure chance de s’autoréguler.
Mais puisque la vie réelle n’est pas parfaite, il s’agira aussi pour l’humain (caregiver) d’apprendre à co-réguler (c’est à dire réguler à la place de son chien) lorsqu’une surprise arrive.
Voir comment le chien utilise l’espace
Nous l’avons déjà évoqué dans la partie temps, il est essentiel d’apprendre du chien ses préférences individuelles en terme de déplacements dans l’environnement.
De nombreux chiens ont besoin de pouvoir naviguer dans l’espace de manière à se sentir en sécurité et à mieux évoluer, en particulier dans l’environnement social. Cela peut s’avérer difficile lorsqu’ils sont attachés.
Apprendre quelles sont leurs préférences en matière de mouvement permet de nous adapter pour mieux les aider durant nos sorties.
De l’espace au sens mental
Même si cela est un peu simpliste, il est très facile de se représenter la charge émotionnelle comme un vase rempli d’eau. Le vase représente la charge émotionnelle que le chien peut supporter ; l’eau représente sa charge actuelle.
L’essentiel est de voir le vase sans pour autant porter de jugement. En d’autres termes, un vase (presque) plein ne signifie pas que le chien est “mauvais”. Il nous montre simplement qu’il y a une certaine quantité, et donc potentiellement moins de capacité à faire face à/ tolérer “plus” – quel que soit ce “plus”. L’excitation peut tout autant faire déborder le vase que n’importe quoi d’autre 😉
Plus le vase est plein, plus il est difficile de ralentir son flot de pensées, plus est difficile d’analyser, d’intégrer l’information et de réfléchir rationnellement.
Le vase peut se remplir de maintes et maintes manières : trop de contraintes, insatisfactions des besoins, insécurité émotionnelle et affective, rythmes de vie ou encore surcharges d’information.
C’est exactement ce procédé qui est utilisé dans les supermarchés pour déclencher des achats compulsifs chez les clients adultes (tandis que les enfants eux seront affublés du terme capricieux alors que simplement victime d’une surcharge d’informations).
Bref, plus le vase est plein, moins il y a de chances de faire des choix réfléchis et rationnels et plus il y a de chances d’agir par réflexe. En tant que professionnels, nous nous devons d’être constamment attentifs à la capacité émotionnelle du chien, tout comme à celle des personnes qui s’en occupent.
Nous l’avons dit, cet espace mental dépend de multiples facteurs : il peut potentiellement varier d’un jour à l’autre. Ce n’est pas parce que le chien a été capable de faire telle ou telle chose un jour qu’il sera prêt à faire de même le lendemain.
Le temps comme l’espace sont cruciaux, non seulement pour soutenir les chiens les plus sensibles, mais aussi pour tous les chiens qui vivent à nos côtés. Le temps et l’espace nous donnent une chance d’aller à leur rencontre, d’apprendre un peu de leur “vérité”.
Il s’agit presque toujours de ralentir les choses, de donner plus de temps et d’espace dans toutes ses dimensions. Pas juste en terme de délais et de distance.